samedi 20 juin 2015

La poétesse au salon

La poétesse au salon
Elle s’est installée sur sa petite table, a sorti ses petits recueils
Bien écrits bien propres, juste ce qu’il faut comme tape à l’œil
Et d’un air radieux attend pour combien de temps ses lecteurs
Prise entre deux autres auteurs  Elle empile ses livres à la bonne hauteur
Ajuste ses lunettes, son sourire en cœur remet d’un geste bien étudié
La mèche rebelle qui  doit faire un malheur et les faire chavirer,
Vérifie que son stylo en pseudo or sera fonctionnel tout à l’heure
Regarde à droite à gauche, voudrait engager la conversation
Avec son voisin de droite qui à l’air bien mignon
Celui de gauche, bah  celui de gauche, il semble de gauche.
Rien qu’à deviner ses titres  en se chavirant  la tête
D’une manière discrète elle voit bien que ce n’est pas un poète !
Ecrire des trucs aussi gros avec un titre aussi long et en tout petits caractères
Ça dénote qu’on a affaire à un intello sûrement universitaire.
Moi, je viens du peuple, et j’en suis fière ! Je travaille moi monsieur pense-t-elle
Pas planquée dans un bureau ou à avoir des vacances toutes les six semaines.
Je travaille à l’usine enfin, je travaillais depuis l’année dernière
Maintenant je suis en congé maladie  je souffre mais je souris
Il ne faut pas laisser abattre par cette chienne de vie
Et c’est pour cela que j’écris de la Poésie.
Oui, messieurs dames, de la poésie : j’aligne les vers
Je fais des quatrains des alexandrins j’suis pas rentière
Alors faut vivre et justement je sais écrire.
En un an j’ai édité quatre recueils, j’évite vraiment pas les écueils
Quatre tirages de 500 et j’en ai déjà vendus…euh oui, un cent
Avec tous ceux que j’ai donnés ! C’est vrai que la poésie les gens
Ils hésitent : il faut vraiment tout leur expliquer ? Mais non, c’est pas comme à l’école
T’as rien à apprendre, juste à lire et ta pensée décolle
Oui, tu pars vers des ailleurs lointains et c’est moins dangereux un beau vers qu’une ligne de coke
Ou un mauvais joint de rebeu qui risque de te faire piquer par les bleus !
De toute façon, je parle et il  s’en fout : il lit son journal
C’est quoi ? Courrier International ? j’connais pas, j’connais juste le journal local
J’aime bien j’y lis les potins et ça m’inspire tiens écoute :
Mon voisin fait du feu, il brule des palettes
Et dans la fumée bleue qui s’élève
Je devine son âme grisée à l’anisette
Qui lui fait oublier sa petite  Ève !
Ça c’est du vécu ! De la réalité et ça emmène mon lecteur loin de monde terre à terre
Il part faire un voyage pour Cythère
Bon, pour l’instant y’a pas grand monde au départ de ma gare
Et puis, je pense, je pense et je m’égare.
Deux heures que je suis là, et personne s’est arrêté : J’ai beau les aguicher,
Sortir mon sourire leur tendre un marque-page : c’est fou : ils prennent le marque-page
Et ne m’achète rien
C’est la dernière fois que je fais ça, et ça vaut une fortune à la fin !
Bon, ils commencent à sortir leur repas et j’ai pas faim
Quelle vie que c’est que de se vendre et de vendre de la poésie
Heureusement, les gens viendront tantôt
Après Michel Drucker ou la plage s’il fait beau
C’est sûr je vais faire un malheur, je le sens voilà mon heur
Tiens, un journaliste : Il va me prendre en photo, peut-être m’interviewer
Bah non, il s’arrête pour le type de gauche et mon petit voisin de droite
Est toujours fourré en face avec une illustratrice ! Tu parles, faire des dessins
Pas dur d’être artiste pour faire ce qu’elle fait ! Bon, elle est mignonne :
Elle a quel âge, 25 ans, trente, oui moi, j’ai le double
Et puis je m’en fous : j’vais faire un tour la buvette !
 Pas mauvais ce petit blanc, il annonce la guinguette…Et si j’écrivais autre chose
Un livre de cuisine, un livre érotique, une histoire d’amour
Un roman d’épouvante une saga fantaisy ou un truc rigolo
Non, je sais j’vais écrire du slam que je vais déclamer sur les scènes je ferai comme Clo
La p’tite jeune qu’est championne du monde et dont on nous rebat les oreilles
C’est facile de faire du slam tu peux même le chanter c’est pas pareille la poésie
Faut l’apprécier  Enfin je le sens j’vais m’éclater oui je vais slamer
Oui, et je ferais les championnats de Guingamp de Saint Brieuc, de Tréméven même
Et je serais championne, et je serais aimée et je serais en haut de l’affiche
Mon nom sera sur toutes les lèvres on m’invitera dans les cafés
Et je pourrais boire sans payer ! Oui, je vais slamer !

19/06/2015

3 commentaires:

  1. Le dernier vers s'explique ainsi Il y a une "règle" pour les scènes de slam :
    Un vers dit, un verre offert !

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  2. ça me fait penser à Eve. Qui est citée.

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