On ne fabrique plus de savons
À Alep
On a d’autres préoccupations
On invente des combines
Pour échapper aux bombes
Mais ça ne marche pas toujours.
Sur les trottoirs disparus des photographes
Des envoyés spéciaux et des habitants
Ordinaires qui fixent sur leur téléphone
Les éboulis qui étaient leur demeure.
On se déplace à pied
Une carcasse de voiture
Ça reste sur place
Il n’y a plus de rues, plus d’édifices dédiés
Même plus une place de stationnement
Même plus de cimetières
Pour cacher sa misère.
On ne trouve plus rien
Plus d’eau plus de lumière
Plus d’air pur plus de pain noir
Reste la poussière impure.
Entre deux courts silences
Des explosions, des tirs d’armes
Puis des cris des larmes des lamentations
Les pleurs des veuves
Les gémissements des blessés qui ne seront pas soignés
Les hoquets des orphelins entrecoupés de Maman
Les sirènes haletantes des secours disparus.
Alep quartiers martyrs
Deux fois les Champs Élysées
Ravagés cognés boxés
assommés
Des blessures de
pierre des meurtrissures des corps
Rues défigurées où errent
des fantômes livides
Longs sacs orangés
venus dont ne sait où
Qui a pris le soin
Qui a trouvé le
courage
Qui a pensé donner
un semblant
De tombeau
Aux victimes des
hommes
Qui a pensé dissimuler
la puanteur
La décomposition
Les mutilations
obscènes
Et quel avenir pour
ces cercueils camping
Autour desquels
tournoient
Des vols de mouches déçues
de ne pouvoir
Se repaître de
festins sordides
Alep vingt
kilomètres carrés
Qui ne sont qu’un point
sur la carte
Quartiers bombardés
par les amis russes
Îlot assiégé par l’armée
du dictateur
Dont on veut oublier
même le nom
Alep abandonné
Par les puissances
impuissantes
Discutant autour d’une
table
Les cartes à la main
Non des cartes à
jouer
Mais des cartes à
parier à gagner
Monopoly des puits
de pétrole
Des bouts de
frontières
Des hectares de
pactole
Pour l’instant
poudrière
Alep tu m’obsèdes
Te serrer dans mes
bras
Te caresser te
rassurer
Te dire des mots d’amour
Des mots de paix.
Mais Alep
Je ne peux que
pleurer.