lundi 16 juin 2014

Mille neuf cent quatorze

Il faisait beau ce premier août
Le soleil brillait, les alouettes chantaient
Dans les champs les blés étaient dorés
Et on suait dans les ateliers.
Quand les cloches des églises
Se sont mises à sonner
Et quand dans les usines
Les sirènes ont retenti
Les gars se sont dit
Tiens un incendie
Pas étonnant avec cette sécheresse
À cette époque y’avait pas
 De transistors, de paraboles sur les toits
Encore moins de portables
C’est incroyable
Non, y’ avait pas tout ça
Mais le bruit s’est vite répandu
Dans les prés, dans les rues
Au-delà des avenues
On était en 1914
En ce premier août
La guerre était déclarée.

Ils étaient paysans pour la plupart
Ouvriers, artisans, cols blancs,
Artistes ou écrivains,
 Infirmiers, médecins, enseignants
Enfin, tous les p’tits jeunes, encore des enfants.
Il faisait beau ce premier août 1914.
Ils avaient vingt ans
Et on leur a promis
Y’en aurait pas pour longtemps.
Vite fait on les aura
Les Allemands
Et en septembre on pourra faire
Les vendanges.
Henri comme ses copains
 En était sûr et c’est en chantant
La fleur au fusil
Et dans son bel équipement
Qu’il est parti tout content.
En quinze dans les premières tranchées
Il a moins rigolé
Quand il a entendu les premiers canons gueuler.
Il n’a pas pu tout raconter dans les petits carnets qu’il m’a laissés
La boue, la faim, la peur
L’ennemi en face, les copains tombés
Et au bout de 18 mois la première permission
Le retour enfin à la maison
Pouvoir un peu oublier
Serrer dans la nuit sa petite fiancée
Et le temps trop vite passé
Et le retour dans l’enfer des combats.
La pluie, la neige, le froid
Les poux, les rats, la soupe et le rata
Et les heures interminables
À attendre sur la paillasse mouillée
Et la trouille inavouable
Et le pinard qu’on avale avant d’escalader
Le mur de terre en tirant devant
Avec son fusil lebel
Et quand on est arrivé
La baïonnette en avant
Pour crever l’ennemi allemand
Avant qu’il vous en face autant.
En seize il a reçu une lettre
Qui lui annonçait la naissance de maman
Il avait même plus de larmes pour pleurer
Il n’ savait même pas s’il était content.
Le chemin des dames il en avait soupé
D’abord des dames y en pas
Y’avait qu’des corps tombés qu’il fallait ramasser
Et des soldats blessés qu’on entendait gueuler
En dix-sept, il n’avait pas beaucoup avancé
Il avait cessé de penser
Des cartouches combien il en avait tirées
Incapable maintenant de compter
Puis un soir, le six mars mil neuf cent dix-sept
L’ordre est arrivé d’un haut gradé qu’était planqué
Dans un bureau bien chauffé
Il fallait encore attaquer et reprendre le petit bois
Où on devrait s’installer.
Mon grand-père était sergent
C’était le plus vieux
Il avait vingt-cinq ans
Il est parti en avant
Ses gars l’ont suivi : il est tombé le premier
Un obus l’a déchiqueté.
On n’a retrouvé que sa médaille militaire pour l’identifier
Trois heures que le combat a duré
Le petit bois, les Allemands l’ont gardé.
Quelquefois je vais
Dans le petit village où il était né
Sur le monument aux morts son nom est gravé
Son corps, ma grand-mère l’a fait ramener
Mais, y a  plus de tombe depuis le temps….
Et puis, le temps c’est fait pour oublier…
Il faisait beau ce trois septembre
Mille neuf cent trente-neuf
Le soleil brillait, les alouettes chantaient
Dans les champs les blés étaient dorés
Et on suait dans les ateliers.
Quand les cloches des églises
Se sont mises à sonner
Et quand dans les usines
Les sirènes ont retenti
Les gars se sont dit
Tiens un incendie
Pas étonnant avec cette sécheresse.
Mon père est parti
Pas trop longtemps
Ce fut la drôle de guerre
Il est devenu résistant
Et c’est mon frère qui fit la dernière
La guerre d’Algérie
Fin des colonies
Et moi, je suis juste là
Pour vous raconter
Oui, juste là pour vous raconter
Oui, juste là pour vous raconter…

Francis DELEMER

30/04/2014

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