Ah ! Je la
vois votre tête ! Qu’est-ce que c’est ? Un caillou ? Il va nous parler de quoi
? Eh bien, je vais vous parler de moi ! Moi, le GALET !
D’abord, je ne suis
pas un caillou ! Je suis une pierre, avec une histoire, une très belle
histoire.
C’est cette histoire
que je m’en vais vous conter.
J’ai été ramassé sur
la plage de Fécamp. Par hasard, parce que j’avais une belle forme, parce qu’Il
aime les pierres, toutes les pierres et les galets en particulier.
Il aurait pu me
ramasser ailleurs. Du cap d’Antifer, au nord du Havre à la pointe du Hourdel au
sud de la Baie de Somme, mes frères et moi sommes présents sur plus de 90 km de
côtes
Comment suis –arrivé
sur cette plage ? Par en haut ! Non, ne levez pas les yeux vers le ciel mais
vers la falaise.
La mer a créé ces
falaises il y a 90 millions d’années quand elle s’est retirée. Elle n’est
revenue que depuis 8000 ans. Depuis, elle les attaque, elle tape, elle rue,
elle sape et les fait reculer de 30 cm par an. L’eau dissout la craie blanche et
libère les silex, ces blocs de silice pure qui forment des strates foncées dans
l’albâtre de la falaise. Ces rognons de silex sont alors exposés aux flots :
entrechoqués entre eux, roulés par le ressac, ils sont peu à peu modelés,
prennent leur rondeur, se polissent pour prendre cet aspect si familier. En
même temps, les courants les portent vers le nord. Le silex se transforme en
galet en six mois et il mettra 30 ans pour aller du Havre à Ault. Ce
déplacement vers le nord a des conséquences dramatiques pour certaines plages.
Les galets disparaissent, n’assurant plus leur rôle de protection des falaises
et des plages, quelquefois nuisant à la réputation d’une station : Etretat voit
régulièrement ses galets partir alors que le port de Saint Valéry en Caux doit
être régulièrement dégagé.
Et les hommes les
ramassent aussi, depuis toujours. D’abord matériau de construction brut, il
servit à construire les maisons des pêcheurs. Taillés, sculptés en cubes, les
galets noirs ou gris intègrent le rouge de la brique et le blanc de la craie
pour former les murs polychromes des manoirs et des pigeonniers normands. Mais,
c’est à partir du XIXe siècle que l’exploitation va prendre des proportions
inquiétantes...
Dès cette époque, des familles entières sont rémunérées (faiblement)
par de grosses sociétés pour ramasser et trier les galets : tâches d’une
pénibilité exceptionnelle pour quelques sous. Sur la plage, par n’importe quel
temps, à marcher dans ces galets qui roulent sous les pieds mal chaussés,
courbés pour remplir de gros paniers qu’il faudra porter ensuite sur le haut de
la plage, la journée des ramasseurs de galets n’est pas une sinécure !
L’essentiel de la
récolte est utilisée pour broyer des matériaux plus tendres dans de grands
cylindres. Une partie est chauffée à 1500 ° C pour intégrer la silice à la pâte
de verre ou la céramique car la silice du galet normand est d’une pureté
exceptionnelle. Finement broyé, il est utilisé dans les filtres à eaux. Enfin,
calciné et blanchi, il se transforme en cristobalite, produit « miraculeux »
utilisé comme revêtement de façades, antidérapant pour les peintures routières
et les sols des usines, ingrédients des enduits, mastics et colles.
Cette exploitation fut
si intense aux XIXe et XXe siècles, avec une pointe dans les années 1950 à
1970, que le stock des galets a diminué de 50% ! Aujourd’hui encore les trois
grandes sociétés d’exploitation basées à Ault génèrent 15 millions d’euros de
chiffres d’affaires, emploient 150 personnes et exporte 350 000 tonnes de
galets dont 30 000t prélevées directement au bord de mer.
Depuis 1983, la loi «
littorale » impose aux sociétés d’exploitation de déverser sur la plage des
galets fossiles des carrières terrestres. Mais, ce qui fragilise la côte et
gêne le mouvement des galets tient surtout à la construction d’ouvrages :
digues du port de Dieppe, digues du port artificiel d’Antifer, centrales
nucléaires de Penly et de Paluel. La seule solution pour garder définitivement
son aspect à la côte serait de faire appliquer la loi littorale de façon
exemplaire, de contingenter le ramassage et de cesser toute construction de
nouveaux ouvrages.
Pour finir cet
article, je vous propose de lire le témoignage de Christian Dupré, l’un des derniers
ramasseurs de galets.
Christian Dupré a commencé sa carrière en 1952 sur le poulier
de Sussette (tout près de l’actuelle Centrale nucléaire de Paluel.) En terme
géomorphologique un poulier est un cordon littoral en galets. Les travaux de
construction de cette centrale ont mis fin à son activité en 1971. Mais laissons-lui
la parole :
« A l’époque on
accédait à la mer par une étroite valleuse et un chemin de terre. (En Pays de
Caux, la valleuse est une dépression du terrain permettant l’accès à la
mer).Pour ramasser les galets, on utilisait des paniers qui nous étaient
fournis par la société qui les achetait. Chaque hommes avait 8 paniers (des «
mandes ») et il fallait faire au moins 5 tournées pour gagner quelque chose au
bout d’une journée de travail. Selon les saisons, les tempêtes faisaient
parfois partir les bancs de galets, on pouvait ne rien gagner, ou au contraire
trouver le bon filon. Quand j’ai pu économiser un peu, j’ai pris un cheval qui
permet de remonter plus facilement les galets dans leurs hottes (les « carottes
» ) On choisissait des demi-sang, agiles et nerveux car les chevaux de trait
aurait été trop lourds ( …)
Le maréchal-ferrant
confectionnait des fers à cheval larges et complètement ronds pour que les
galets ne restent pas coincés à l’intérieur, au risque de blesser le sabot. En
20 ans de métier, j’ai eu 5 chevaux ; (…) Dans la valleuse, nous avions une
cabane où nous abriter pour manger en attendant la marée. C’était un travail
pénible. Eté comme hiver, qu’il gèle, qu’il pleuve ou au contraire qu’il fasse
un soleil brûlant, il faut suivre les marées. Au début, les galets vous
arrachent la peau des doigts, le froid et l’eau de mer finissent de vous
creuser les paumes.(…) Selon le calibre et la qualité, les galets nous étaient
payés de 4 à 12 francs la tonne. »
Christian Dupré a donc
arrêté en 1971. Il faut dire aussi que la mécanisation du ramassage avec des
pelleteuses et des tapis roulants a mis un terme à cette activité manuelle :
les machines ramassant en une journée ce que Christian ramassait en une année !
Alors voilà comment le
modeste galet que je suis participe à l’activité économique de toute d’une
région et pourquoi j’inquiète tant les riverains de cette magnifique côte.
L’avenir c’est aussi l’exploitation de mes « frères » terrestres ! Lassés de
payer et d’être obligés de faire circuler des norias de camions pour remblayer
les ponctions faîtes sur la côte, les industriels se tournent de plus en plus
vers l’extraction des galets fossiles qui sont même lavés à l’eau de mer pour
éliminer les oxydations de fer.
Si un jour vous foulez
de vos pieds nus ces plages normandes et que vous pestiez contre ces
cochonneries de galets, en regrettant que le sable soit si peu présent, ayez
donc une pensée pour tout ce qu’ils permettent et mesdames, sachez que moi,
pauvre galet, j’entre même dans la composition de produits de beauté !
( Je vous recommande
la lecture d’un ouvrage qui vient de sortir : « Les hautes falaises d’albâtre
sous le ciel de Normandie » avec des textes de Jean Sébastien VANOT et de
sublimes photographies de Frédéric MALANDAIN et que l’on peut se procurer dans
toutes les bonnes librairies . Publicité entièrement gratuite, ce livre m’ayant
été offert par ma fille Lucie pour la Fêtes des Pères ! Merci encore ma Lucie
et aussi pour la dédicace ;-)