mardi 31 mars 2020

le fil à suivre



Avec ce confinement qui dure depuis quinze jours j’ai perdu le fil de mes idées. Pourtant il est bien là, le fil. Pas le fil à plomb : je ne peux pas bricoler. Tout ce qu’il faut pour bricoler ne fait pas partie des denrées de première nécessité. Alors, je reste à la maison.
Un fil à la patte, je passe des coups de fil. Ce qui est idiot, soit dit en passant, car mon Smartphone n’a pas de fil. Donc j’appelle les amis sans perdre le fil de la conversation. On parle de tout et de rien., suivant les affinités de chacun.
Sébastien regrette d’avoir remisé son fils à pêche. Patrick n’a plus de fil barbelé pour finir l’enclos de ses abeilles. Catherine épluche ses haricots verts sans laisser le moindre fil.
Grâce au réseau sans fil, je parcours la planète sans perdre le fil de mes conversations.
Pendant ce temps, Isabelle choisit son plus beau fil à repriser après l’avoir démêlé tel un fil d’araignée. Et que font Philippe et Philomène ? Ils poursuivent le fil de leurs discussions. Pas facile à suivre le fil de leur vie. Ils sont toujours sur le fil du rasoir, à croire que l’un ou l’une veut passer l’autre par le fil de l’épée. Et tel Moïse confié au fil de l’eau, leur vie compliquée démêle le fil d’Ariane suivant un hypothétique fil rouge à se casser les dents. Le fil dentaire ne sert à rien. De toute façon leur vie est cousue de fil blanc, elle ne tient qu’à un fil, elle leur donne du fil à retordre et suit tant bien que mal le fil du courant.
Quant à moi j’arrête. Mon fil conducteur est cassé et le facteur n’est pas là pour le raccommoder avec un joli fil doré !




lundi 30 mars 2020

cococo vid 19


Terre morte rues désertes silence
 ombres furtives dans la nuit  silence      sortir braver l'interdit    avoir envie          on ne regarde plus devant              trop d'inconnu   même pas de questions  seulement espérer vivre       échapper à la bête      cette bête plus petite que l'imagination pouvait se la représenter
 aucun romancier n'avait écrit une telle catastrophe
mais cette bête plus terrible que mille dragons des légendes
cette bête qui tue homme femme enfant vieux jeune sans prévenir
cette bête est là
tout autour   partout       en nous   
alors on nous dit     on  nous dit à longueur d'antenne  des voix qui envahissent et l'espace et l' esprit
 des voix qui conseillent qui ordonnent qui décrètent
 ô poète détruit le mot liberté ce mot qu’Éluard écrivait sur des cahiers d’écolier
les écoles sont fermées
la bête y est           elle rôde sournoise silencieuse inattendue

Pas de malades imaginaires pas de Toinette pour s’écrier
le poumon vous dis-je le poumon
car c’est lui qu’elle attaque     la bête empêche de respirer elle attaque le souffle le souffle qui est la vie
alors combat         combat de chaque instant avec des armes désuètes
nos masques et nos gants    le lavage des mains jusqu’à l’usure
l’évitement            le confinement             les gestes barrière       et la clé
 la clé pour fermer cette barrière qui la possède

on n’ose plus vivre d’ailleurs            vivre pourquoi    pour qui
c’était mieux avant                  ah oui                  oui   c’était mieux avant

 le coronavirus


jeudi 12 décembre 2019

A Gaudi


L’architecte catalan Antoni Gaudí i Cornet est célèbre dans le monde entier pour son immense talent : la tour Bellesguard, le Park Güell, la restauration de la cathédrale de Majorque, l’église de la Colonia Güell, la Casa Batlló, La Pedrera et enfin la Sagrada Familia. Il mourut le 10 juin 1926, renversé par un tramway alors qu’il faisait, comme chaque soir, le trajet entre l’église de Sant Felip Neri et la Sagrada Familia

Poème écrit après la visite de la Sagrada familia


Gaudi lève les yeux

puis les baisse

une fleur modeste pousse là

une fleur en forme de spirale

Gaudi imagine aussitôt

une tour fantastique

qui s'élance dans le ciel

prière à Dieu

le temps se construit peu à peu

idées lignes tracées

droites et courbes mêlées

construction hardie

de l'architecte visionnaire

rêve brisé brutalement

pauvre corps allongé

sur la chaussée mouillée

corps sans vie

 de l'artiste oublié.



lundi 9 décembre 2019

Dire dire encore


Combien de barreaux à scier
et combien d’outils à trouver
de pierres à arracher
de portes à enfoncer
de cerveaux à exploser
frère de Palestine ami turc cinéaste de l’est
poète à jamais condamné
taisez vous donc
murez-vous dans le silence
brûlez votre papier
cassez vos crayons
tout ce qui vous rapproche de la potence

Il fut un temps où vous étiez assis près des puissants
partageant les mêmes scènes les mêmes tables
les mêmes tribunes
vos poitrines étaient couvertes de breloques rutilantes
les éloges pleuvaient sur vous
vous étiez les invités permanents de ceux qui brillaient
derrière vos œuvres
 et puis les temps ont changés
les belles avenues couvertes de fleurs sont maintenant chemins de calvaire
les micros sont coupés, les expositions interdites.
Les dictateurs, les nationalistes les chefaillons protégés par les puissances de l’argent
 par les kalach'boys par les démocrates donneurs de leçons ont tourné la roue
vous n’êtes plus les gagnants on vous montre du doigt
les invectives tombent, les crachats vous visent
et quand quelqu’un
 homme simple, femme aimante, révolté de l’injustice
élève la voix pour permettre d’entendre la vôtre,
tague des murs, colle des affiches, s’empare de la rue
on l’ignore on le montre
on détourne le regard
on se bouche les oreilles
les passants aveugles et sourds tout à coup
se cachent pour ignorer
il reste seul combattant inutile
désespéré de ses gestes
seul sacrifié pour que vous puissiez exister

combien de cadavres anonymes
jonchent les trottoirs de Téhéran
les cours de Bagdad, les impasses d’Istanbul
combien de fosses perdues
pour recueillir des étudiants chinois
Poète tu ne sauras pas compter
Et tes mots résonneront moins fort encore
Que les images de BFM télé
Mais le mot reste ta force
Ta seule arme de conviction
Et il faudra t’amputer
Pour t’empêcher de crier.


Regard éteint


Je ne crains rien
ni l'Ankou ni la Camarde
je les ai vu à l'aube
venir prendre un ami musicien
une flûte à ses côtés
qu'il tenait fort serré
il n'a rien vu venir
il s'est laissé emporté
Ça n'a pas fait de bruit
je n'ai pas entendu un cri
c'était au petit matin
en ce milieu de juin
j'ai glissé ma main
sur son regard éteint
plus aucune flamme jamais
ne le fera briller
ses lèvres dessinaient pourtant
un léger sourire enfantin
mais aucun éclat de rire
ne jaillira plus jamais
silence ami musicien

et quand viendra mon tour
pas sûr que je fixe rendez vous
ce n'est pas sur un lit d'hôpital
que je veux finir mes jours
hélas de cela je ne suis pas maître
aurais-je encore un seul ami poète
pour me dire adieu
un ami poète, un apôtre ou un démon
pour m'accompagner sur le chemin
de la crémation
entendrais-je Johnny chanter
allumez le feu
y aura-t-il le son des guitares
pour faire danser les flammes
dans les yeux
ou le silence pour l'oublié
le silence
pour oublier ma présence dans toutes vos absences.


2018/mai 2019
carnet rouge




lundi 23 septembre 2019

Sculpteurs


Terre
souplesse à humecter
mains qui façonnent
qui roulent écrasent
hésitent
puis étirent enfin
modèlent
la femme peu à peu se devine
se révèle s’affirme
s’expose
son regard se porte au loin
ce lointain que la main confirme
elle ne cache rien ni des formes
ni de sa nudité
pourtant elle ne provoque pas
elle est
femme elle est mère
ses seins ont sûrement nourri
son ventre conserve des plis
et son sexe finement ourlé
a donné et reçu du plaisir
Maillol peaufine reprend lisse
pour ne laisser aucune empreinte
aucune signature
puis tel le chef étoilé
surveille la cuisson


de son œuvre



c’est cette femme qui s’expose
que j’admire
je n’arrive à m’en détacher
tomber amoureux
rester de marbre
à ses côtés.


Visite de l’exposition Rodin Maillol musée Hyacinthe Grimaud Perpignan septembre 2019

Les étrangers


LES ÉTRANGERS

                 Ils sont arrivés à la fin de l’hiver.
Le printemps n’était pas installé.
La vieille voiture fatiguée tractait une caravane rafistolée.
Ils se sont garés sur le terrain communal, près de l’ancien cimetière, bien avant le réveil du village. Un chien a aboyé. La lune a disparu mais le soleil ne s’est pas levé.
C’est le cantonnier qui, le premier, les a aperçus. Il a raconté cela au bistrot où il allait boire son premier café arrosé de la journée.
En moins d’une heure, la moitié du village a trouvé un prétexte pour y aller voir. Les mères inquiètes se demandaient s’il fallait envoyer les gamins à l’école.
Le maire a tenté de les raisonner : comment éviter la peur devant l’inconnu ?
Non, mais regardez-moi cela !
Et d’abord, avaient-ils le droit de s’installer là, avec tout leur barda ?
C’est quoi ce bazar qu’ils ont sorti ?
 Et leur chien ? Comme il a l’air mauvais !
Et vous avez-vu comment ils sont habillés ?
Eh,  Monsieur le maire, faut leur dire de partir !
Mais le maire n’avait pas envie ! Il a dit qu’il allait téléphoner au préfet puis aviser.


         Un cri terrible a couvert l’agitation naissante. C’était Simone. Le lit de son petit garçon était vide.
Elle avait cherché dans toute la maison : il n’était pas là ! C’est sûrement ces étrangers qui ont fait le coup ! C’est sûr !
On n’a pas attendu le retour du mari de Simone qui était de nuit à l’usine.
On a sorti les fusils et tout ce qui pouvait servir d’armes.
La foule déchaînée a décidé, comme cela, naturellement, de se venger.
L’homme a été atteint par plusieurs balles à sanglier.
La femme a reçu des coups, toutes sortes de coups. En lui plantant une fourche dans le ventre, on s’est rendu compte qu’elle était enceinte.
Leur enfant, on l’a balancé dans la rivière.
La voiture et la caravane, on les a incendiées.
Seul le chien, qui s’était sauvé, en a réchappé.
On a chanté et dansé autour du feu et quand les gendarmes sont arrivés, ils n’ont pu qu’appeler les pompiers.
Cette affaire a été classée sans suite, sans suite pour personne.
On s’est débarrassé des  corps dans la fosse commune sauf celui du petit, jamais retrouvé.   


Quant à l’enfant disparu, il jouait à cache-cache sous son lit.