vendredi 16 décembre 2016

Alep

On ne fabrique plus de savons

À Alep
On a d’autres préoccupations
On invente des combines
Pour échapper aux bombes
Mais ça ne marche pas toujours.

Sur les trottoirs disparus des photographes
Des envoyés spéciaux et des habitants
Ordinaires qui fixent sur leur téléphone
Les éboulis qui étaient leur demeure.
On se déplace à pied
Une carcasse de voiture
Ça reste sur place
Il n’y a plus de rues, plus d’édifices dédiés
Même plus une place de stationnement
Même plus de cimetières
Pour cacher sa misère.

On ne trouve plus rien
Plus d’eau plus de lumière
Plus d’air pur plus de pain noir
Reste la poussière impure.

Entre deux courts silences
Des explosions, des tirs d’armes
Puis des cris des larmes des lamentations
Les pleurs des veuves
Les gémissements des blessés qui ne seront pas soignés
Les hoquets des orphelins entrecoupés de Maman 
Les sirènes haletantes des secours disparus.

Alep quartiers martyrs
Deux fois les Champs Élysées
Ravagés cognés boxés assommés
Des blessures de pierre des meurtrissures des corps
Rues défigurées où errent des fantômes livides
Longs sacs orangés venus dont ne sait où
Qui a pris le soin
Qui a trouvé le courage
Qui a pensé donner un semblant
De tombeau
Aux victimes des hommes
Qui a pensé dissimuler la puanteur
La décomposition
Les mutilations obscènes
Et quel avenir pour ces cercueils camping
Autour desquels tournoient
Des vols de mouches déçues de ne pouvoir
Se repaître de festins sordides

Alep vingt kilomètres carrés
Qui ne sont qu’un point sur la carte
Quartiers bombardés par les amis russes
Îlot assiégé par l’armée du dictateur
Dont on veut oublier même le nom
Alep abandonné
Par les puissances impuissantes
Discutant autour d’une table
Les cartes à la main
Non des cartes à jouer
Mais des cartes à parier à gagner
Monopoly des puits de pétrole
Des bouts de frontières
Des hectares de pactole
Pour l’instant poudrière


Alep tu m’obsèdes
Te serrer dans mes bras
Te caresser te rassurer
Te dire des mots d’amour
Des mots de paix.


Mais Alep
Je ne peux que pleurer.


mercredi 26 octobre 2016

Souvenirs, Toussaint, etc

Imaginez : il était une fois, une vraie fois. Fin octobre 55. Une voiture noire, presque imposante, presque une voiture de maître qui file à…, au moins, au moins, 70, 80 km/h vers le Nord. Pas le grand Nord mais presque ! Le grand Nord de la France : Amiens, Cambrai, Lille !!! On roule depuis 4 heures, depuis les aurores. Un couple devant : le père qui conduit assis à droite ! Ah oui, c’est une voiture anglaise, une Hotschkiss ! Modèle Artois 1948, 12 l aux 100 km ! Donc, il conduit. Et ça fait un moment qu’il suit un poids lourd qu’il voudrait bien doubler ….Mais, il ne voit rien :
––Nénette, regarde bien ! J’peux doubler ?
Nénette, c’est sa femme ! C’est ses yeux sur la route, une vraie co-pilote.
—Tu peux y aller !
Alors, on y va ! On accélère, on va de plus en plus vite : 80. 85.90.95 !  Encore un effort et on frôle le 100 km/h ! Pensez : elle peut atteindre le 140 km/h !
Derrière, ayant presque tout le siège Tout seul, entre les valises, sacs à provisions et les bagages divers : le petit prince ! Petit manteau en lainage beige, bonnet bien serré sur la tête, il est heureux, heureux en prince, heureux comme un ange. Et où vont-ils, dans le petit jour froid qui se lève, à peine, ce 30 octobre 1955 ? Je vous l’ai dit, ils vont dans le Ch'Nord ! Dans le plat pays, tellement plat qu'un ciel si est noyé mais pas seulement le ciel, tout un paysage dans sa grisaille immense et profonde. Ah,  le gris  de la Bretagne, ou plutôt le camaïeu de gris du ciel breton en comparaison, c'est une œuvre d'Art ! C'est la luminescence de la renaissance. Là, on nage dans le gris, dans le gris comment dire ? Le gris, gris. Non ne riez pas, ce n'est pas une histoire africaine. Et puis attendez donc la suite. Donc ils vont dans le Nord, pourquoi alors ? Parce que ces gens sont originaires du Nord. Ils ont dû s'exiler après la guerre : le travail, le logement, tout ça… Et c'est la Toussaint  qui approche… Et le petit prince, qui est derrière, aussi loin que ses souvenirs l’entraînent, commence un  pèlerinage qui va se renouveler tous les ans, à la même époque : la tournée des cimetières !

Je vous emmène dans cette grande aventure, dans ce safari des tombes, car il faut toutes les retrouver, ces sépultures, un vrai jeu de piste, dans ce voyage désorganisé fait  de découvertes, de trouvailles et de retrouvailles. Attachez vos ceintures sortez vos mouchoirs pour vous essuyer les yeux, si vous riez trop, remettez de l'adhésif à vos dentiers, scotchez vos lunettes, c'est parti !



Ma tombe

La première fois que j'ai vu ma tombe ça a jeté un froid. Ah ! Ça surprend de voir sa tombe. Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé Messieurs dames, mais comment dire ? C'est une anticipation dont on se passerait bien. Attention, je n'ai pas dit que j'ai vu ma tombe en rêve ! Non, je l’ai vue en vrai. Je l'ai même nettoyée, j'y ai déposé les fleurs. Je vous explique.

Comme dans toutes les bonnes familles chrétiennes de la France authentique, bon c'est vrai ça se perd un peu, on a le culte des morts. Le souvenir des défunts c'est important et le jour du 1er novembre, le jour de la Toussaint, alors qu'on devrait faire ça le lendemain, qui est le jour des… Trépassés, (oui c'est vrai qu'un mort, c'est du passé et un vieux mort c'est très passé) donc le jour de la Toussaint, les catholiques mais pas qu’eux,  les autres aussi, font la tournée des cimetières. Rien à voir avec la tournée du bistrot ! Quoique, vous n’avez pas remarqué, il y a toujours un troquet à côté du cimetière. T’as le  cimetière, en face un bistrot, un marchand de fleurs, une entreprise de pompes funèbres, un bistrot, un marchand de fleurs, un troquet….etc. etc.
Ça permet d'aller s'en jeter un petit coup derrière la cravate en sortant et puis on peut ainsi évoquer ceux qu'on est allé voir.  On ne peut pas boire à leur santé mais on peut boire à la nôtre. J'ai connu un bistrot en face d'un cimetière où l'enseigne était rédigée ainsi : « Quoiqu'on dise quoiqu'on fasse, on est mieux ici qu’en face ! »
C'est vrai que plus on est de fous pour le  faire,  mieux c'est. C'est plus convivial. Tout seul, c'est d'un triste ! On fait ça en famille avec les amis, bref, surtout pas  tout seul. Faut dire aussi que c'est souvent fatigant car il faut aller se recueillir sur plusieurs tombes qui ne sont jamais les unes à côté des autres !
Et il faut les trouver ! Il y a des anciennes qui disparaissent et les nouvelles qu’on ne connaît pas. Quand ce sont les nôtres, des proches, ce qu'on connaît bien enfin qu'on connaissait bien, c'est facile. D'autant plus que quelques jours avant, on est allé faire le ménage. Vous les avez vus tous ces gens avec leur pelle, leur binette, leur chiffonnette, leurs barquettes de violettes, même leurs brouettes!  Ils passent  l’après-midi à  coup d'huile de coude à désherber, à astiquer, à briquer, parce que dimanche prochain les gens vont faire des remarques :
— T’as vu, elle est bien propre celle-là pas comme l'autre là, même pas un peu d'eau pour arroser les plantes.
Et puis, pour peu que ce soit un caveau et que tu y as ta place de réservée, autant entretenir tout de suite. Ce sera nickel pour t’accueillir…plus tard !

Mais si ce n’est pas  un  proche, si ça fait plus d'un an que tu n'es pas venu, si c'est un mort récent, alors là !
Tiens il est où déjà Albert ? Je croyais que c'était à gauche d’Henriette. Et Henriette c'est la troisième allée en partant de la gauche quand on entre par le portail sud. Ah oui mais là, on est entré par l'autre grille.
 Forcément le parking était complet. Il a fallu aller à l'autre.
 Bon, alors c'est où ? Le plus simple c'est d'aller au portail sud et de faire le chemin à pied.

Maman j'ai faim !
Tais-toi, crie pas comme ça ! Dans un cimetière faut  faire silence !
Pourquoi maman ? Ils nous entendent  les morts ?
Ne dis pas de bêtises ! Et toi avance !
Je suis fatigué.
Ne t’assois pas sur la tombe du Monsieur !
Je t'avais dit de laisser les gosses à ta mère !
Et comment elle aurait fait ma mère pour venir au cimetière ?
En tout cas, avec moi, il n'y aura pas tous ces problèmes !
Et pourquoi, Monsieur., s'il vous plaît ?
Parce que je serais incinéré !
Bah oui, pour être à la mode !
Non, pour respecter l'environnement…

En aparté : même au cimetière des familles s’engueulent

Après toutes ces recherches, ces disputes, aller faire une pause au café « le Bienvenu », ça fait du bien.

Je vous disais donc que j'ai vu ma tombe. Une petite tombe couverte de graviers blancs, avec une petite croix blanche, une bordure bleu clair tout autour (bleu, normal, c'est un garçon) et un petit angelot –ou un chérubin -à la croisée des deux branches de la croix. Une petite plaque en faux marbre : à notre enfant chéri le nom, 1949-1950.
Bon c'est vrai, les dates ne collent pas  mais le nom c'est bien ça !  Gentils parents dont je suis le fils de substitution. Le fils mort, il fallait le faire revivre.  La succession en quelque sorte.
Eh bien, Messieurs dames, vous n'allez peut-être pas me croire. Mais, depuis cette année 1955, après chaque soir de Toussaint, je me dis, le soir, avec un grand soulagement : « Yes, encore un an de gagné ! »
Et ça fait plus de 60 ans que ça dure !

mercredi 5 octobre 2016

Salon du livre de Corsept

Salon du livre de Corsept


6ème édition   dimanche 9 octobre  
de 10h à 18h30 
complexe Joseph Clavier 
Animations  

Kamishibaï à 11h et à 15h30 /
Espace petit théâtre / Gratuit / Durée : 30 
min env. / Public : à partir de 3 ans  
Par les animatrices de la bibliothèque 
« La Parenthèse » 

Petit théâtre japonais !  Lecture de contes : 
 à 11h Petit cheval bleu de Géraldine 
Elschneret, Elise Mansot ;
 à 15h30 Comment séduire une 
princesse en trois tours de clé ! d’Érik
L'Homme et Louise Nakos  

Jeux d’écriture à 14h 
Espace créativité 
La suite d'une histoire…  
Gratuit / Durée : 1h
Public : enfants du CE2 au CM2 
Animatrice : Cindy Letourneur
À partir d’une histoire lue par l’animatrice,
écris la suite ! …  

3 questions à… à 15h et à 16h30
Espace cosy 
Les écrivains parlent de leur travail et répondent aux questions.   
  
L’Orange perdue à 15h
Espace créativité 
Tarif : 2 € par pers. / Durée : 1h
Animatrice : Véronique Gounaud  
Parmi tous les personnages du conte, dessine celui qui te plait le plus, fais le parler avec un
autre personnage du conte. 



Papillons - atelier zen à 16h
Espace créativité 
Tarif : 5€ par pers. / durée : 1h30 
Public : à partir de 6 ans et adultes  
Nombre max de participants : 15  
Animatrice : Laurence Daigneau 
Déroulement : 1. Comment dessiner un papillon ? 2. S’inspirer de vrais spécimens
exotiques à partir de photos présentées et/ ou de modèles de papillons dessinés par
l’illustratrice 3. Coloriage ou remplissage de son œuvre par des formes selon le principe
du “doodling”, des idées bonheur à découvrir pour certains ! 

Spectacle de conte à 16h30 
Salle Joseph Clavier  
Tarif : 3 € par pers. / durée 45 min env. 
Animateur : Francis Delemer  
Un conteur, la mer des korrigans, une baleine aux yeux d’or, un pauvre pêcheur, des
légendes… Voyage dans le temps, du premier « Il était une fois... » à « Il sera une
fois... », sur les vagues du temps et les vagues  marines, tout peut arriver si vous savez 
encore rêver… selon l'humeur du conteur, et… des spectateurs. 

calendrier septembre →décembre 2016

les réjouissances prévues

10 septembre : soirée Contes Locquénolé (29)
18 septembre : salon du livre Quai des livres Rouen (76)
24 septembre Soirée de soutien aux Migrants - Le petit Ney Paris XVIII ( à préciser)
28 septembre : enregistrement radio  RCF 22
" Détours en contes"
1er et 2 octobre : Salon de la poésie, de la nouvelle et du roman -Vendôme (41)
5 octobre : séance privée Contes-Lycée des métiers Jules Verne Guingamp (22)
8 octobre : Salon du livre et spectacle Corsept (44)
15 octobre : Veillée du 15
18 octobre : Lycée Jules Verne : séance privée
23 octobre : filage nouveau spectacle avec Isabelle Courtade "Madame est servie" Roscoff (29)
3 novembre : atelier écriture Lycée Jules Verne
8, 9, 10  novembre : ateliers écriture Lycée Jules Verne  Guingamp (22)
13 novembre : Salon du livre -Thouaré (44)
15, 16, 17  novembre : ateliers écriture Lycée Jules Verne Guingamp (22)
15 novembre : veillée du 15
19 novembre : filage nouveau spectacle avec Isabelle Courtade "Madame est servie" Roscoff (29)
20 novembre : Salon du Livre - Riantec (56)
22, 23, 24  novembre : ateliers écriture Lycée Jules Verne Guingamp (22)
26 novembre : filage nouveau spectacle avec Isabelle Courtade "Madame est servie" Roscoff (29)
27 novembre : Salon du livre Micarmor- Ploubalzanec (22)
29, 30 ,  novembre : ateliers écriture Lycée Jules Verne Guingamp (22)
4 décembre : Salon du livre Saint Elven (44)
11 décembre : marché de Noêl Corsept (44) Invité d'honneur - Spectacle

lundi 22 août 2016

Lettre au marin qui m'a fait aimer la mer

Un texte, à peine romancé, que je n'ai jamais publié..
Mon cher Yohan

Je me souviens de ces lendemains de mai 1968. J’avais rencontré celle qui allait devenir ma femme et ses parents nous avaient emmenés dans ce tout petit port de la côte normande. Nous y allions passer quelques jours, quittant Rouen et ses manifestations. Mon futur beau-père avait pu négocier de l’essence, et le beau temps étant de la partie, il me semblait que tout allait bien. Je ne savais évidemment pas le choc qui allait suivre ce bref séjour…
Je n’ai pas oublié cette première rencontre sur la grève de galets. Les doris avaient été tirés et vous étiez tous occupés à démêler les filets. Je te remarquais tout de suite : tu avais l’aspect même du vieux loup de mer tel que je me l’étais imaginé dans mes lectures. Une vieille vareuse passée, défraîchie, un jean aux mille pièces rapportées, les cuissardes rabattues sur les jambes et cette casquette de marin fécampois que jamais je ne te verrai quitter. Et ton visage, hâlé, buriné par le sel, le soleil et le froid ! Et ces joues éternellement couvertes d’une barbe de trois jours bien avant la mode lancée par Serge Gainsbourg ! Toi qui avais à peine quelques années de plus que moi, moi l’étudiant à la peau rosée, tu avais déjà le cuir tanné du vieux marin-pêcheur aguerri ! Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre que l’alcool y avait beaucoup contribué !

S… alla vers toi et t’embrassa à ma grande surprise ! Puis elle me présenta comme son « ami » ! Regard furieux de ta part, un hochement de tête, un vague « salut » bougonné, même pas une poignée de main, encore moins un sourire. Et tu replongeas dans ton trémail, ignorant superbement ma tentative de conversation ! Oh, il ne fallut pas longtemps pour « t’apprivoiser ». La pêche avait été bonne, c’était dimanche, il faisait chaud à midi. En face de la jetée, le bistrot de madame Petit était accueillant. Il devint vite notre premier lieu de rendez-vous. Elle ouvrait tôt le matin et si la fermeture du soir n’avait pu laisser espérer de longues soirées, le fait qu’elle fasse épicerie nous fournissait en assez de packs de bière pour passer nos veillées à refaire le monde sur la plage de galets. Souvent un feu de bois allumé à l’abri d’une digue, celle du Dun, presque toujours, permettait de griller quelques maquereaux invendus du matin. Il ne fallait pas de hautes flammes pour ne pas se faire accuser de « naufrageurs » et de belles braises pour obtenir cette cuisson parfaite, cette peau juste dorée et non grillée, ces sucs dégoulinants du poisson offert de tes solides mains vers ce citadin que j’étais et qui découvrait peu à peu les richesses de la mer, de « ta » mer.
Elle t’avait prise à ta sortie de l’école, l’année de tes quatorze ans. Tu m’expliquas avec humour et sans regret cette courte enfance à attendre de pouvoir naviguer. Tu n’étais pas d’une famille de marins. Ta famille habitait la terre, un village en retrait de la côte. Il te fallait du courage à pied, de l’inconscience sur un vieux vélo, et beaucoup de débrouillardise pour profiter de l’automobile d’un voisin, du facteur ou du boulanger qui faisait sa tournée, tôt, le jeudi matin pour rejoindre Saint Aubin. Et là, tout jeune, quand c’était la bonne marée, tu savais toujours persuader un des trois patrons pêcheurs pour te faire une petite place entre les filets et les bouées. On peut vraiment dire que le métier tu l’as appris sur le tas ! Si tu n’écoutais pas beaucoup le maître d’école, tu fus très attentif aux conseils et remarques des maîtres de la mer qu’étaient Michel et Claude et le métier entra vite ! Mousse à quatorze ans, puis engagement de 3 ans dans la marine, quelques années sur des chalutiers dieppois et tu revins vite à Saint Aubin pour y travailler avec les nouveaux patrons – pêcheurs que ce petit port avait accueillis.
Et c’est ainsi que je te rencontrais. Tu avais quel âge ? Difficile à dire ! Tu étais un homme, un vrai, mais, quelque part, tu avais gardé cette âme d’enfant, toujours prêt à s’étonner et à étonner les autres par tes blagues, tes jeux de mots, tes histoires ! Tes éclats de rire retentissaient à travers la plage, à la stupéfaction de ceux qui y venaient pour la première fois. Très vite, tu me proposas d’aller faire une marée ! Je te soupçonnais de vouloir me mettre à l’épreuve, trop content de te moquer du « Parisien », car pour toi, tous ceux qui venaient de la ville étaient des « Parisiens » ! De plus, un étudiant ! On va voir ce qu’on va voir ! Le lendemain matin, à six heures, je t’attendais de pied ferme ! Même si on était en mai, l’air était frais et, voulant jouer les fiers, j’étais finement vêtu ! En arrivant, un vague salut et ton regard peu enclin à la plaisanterie me donnèrent le ton ! De plus, je me rendis compte de ma bêtise : tu avais revêtu la vareuse et chaussé des cuissardes ! J’avais l’air malin avec mon petit polo et mon short ! Ton patron associé me regardait aussi avec un sourire en coin !
- Bon, alors, tu pousses ?
Eh oui, vous n’aviez pas mis longtemps pour finir d’armer le doris, le « Dominique Patrick », blanc avec un liseré vert. Les avirons me semblaient énormes et tu les manœuvrais comme de simples rames. Tu m’avais désigné ma place, tout à l’avant, et à peine le moteur démarré, le premier embrun fut pour moi ! À peine parti et déjà trempé ! J’appris très vite qu’il valait mieux se mettre dos à la vague !
Pour cette première fois, on alla relever une trentaine de casiers à homards puis vira un trémail dont je me demandais si on allait voir la fin ! Les soles, les carrelets et un tas d’autres poissons dont j’ignorais le nom étaient pris dans cette nappe de fils, mais que dire des tourteaux, énormes, pris dans ce piège dont il allait falloir les retirer !
Au retour, à terre, après un verre de vin blanc qui me surprit, je fis le long apprentissage du nettoyage des filets. Avec la peur des pinces des crabes, des queues armées de dard des raies, des épines dorsales des vives, ce ne fut pas une partie de plaisir ! Mais, quelques semaines plus tard, en août, j’allais presque aussi vite que toi et ce n’est plus un verre de vin blanc qui me donnait du courage, mais les trois ou quatre et aussi la cigarette que je roulais comme un vieux loup de mer ! Car, je revins juste à Rouen pour passer le bac rapidement, m’inscrire à la fac de droit et je revins dès début juillet en vacances à saint Aubin. Ma petite tente canadienne était plantée dans le fond du terrain de camping et c’est là que nous nous retrouvions pour passer les soirées. Il t’arrivait même d’y dormir quand nos discussions s’étaient éternisées et que la marée avait lieu à l’aube.
Que de souvenirs je garde de cette époque ! Je connaissais à peine la mer : tu passais des nuits à m’en parler ! Les marées, les courants, les coefficients, les vents, tu expliquais cela avec une simplicité déconcertante ! Et les poissons, les coquillages, les techniques de pêche ! Tout, tout y passait ! J’avais acheté quelques livres dont le fameux tome II du « Traité pratique de la Pêche », de Michel Duborgel. Tu reprenais les schémas, complétais les explications, contestais des points, en approuvais d’autres ! Mais, c’est sur le terrain, enfin sur la mer que tu étais intarissable ! Elle était vraiment ta passion, ton amie, ta femme et ta maîtresse ! Un coup d’œil au ciel, le nez vers le large et tu prédisais le temps avec ton accent cauchois inimitable :
- Demain, tu pourras rester coucher ! Y’aura trop de vent !
- Mais, c’est calme et c’est pas ce qu’ils ont annoncé à la radio !
- Y savent pas ! Sont pas des marins !
Et le lendemain, le vent soufflait ! Ou bien
- Ah, l’vent va virer au nordet : y’aura pas péssons ! On reste au lit, pas b'soin d’user du carburant !
Et tu avais encore raison ! Mais, si tu m’étonnais, tu aimais m’expliquer et partager tes connaissances ! Je me demande encore maintenant, plus de quarante ans après, pourquoi ? Pourquoi cette amitié si forte entre deux êtres que tout séparait ! Et cette amitié qui dura si longtemps ! Je fis mes études, je devins instituteur et, tous les samedis midis, je filais vers Saint Aubin. J’y passais toutes mes vacances et un enseignant en a beaucoup et on se retrouvait à chaque fois avec cette ferveur, cette fraternité forte et totale ! J’ai encore cette belle photo qu’un photographe de mode fit sur la digue, pour le plaisir ! On dirait vraiment deux frères ! J’avais acheté un petit bateau, et quelquefois, tu venais avec moi ! Je connaissais tous les bons coins, tes bons coins, tes secrets que j’étais le seul à partager avec toi ! Tu n’étais pas toujours rassuré sur mon Tabur ! Rappelle-toi quand tu m’as avoué que tu ne savais pas nager ! La honte que ce fut pour toi ! Mais, jamais je ne me suis moqué de toi !
Les années passèrent ! Souvent, quand j’étais à terre, en ville, je pensais à toi ! Tu avais acheté un doris, un beau Doris ! Je t’avais aidé à le peindre et je m’étais appliqué pour y inscrire son nom et son immatriculation sur sa belle coque ; tu étais resté célibataire et moi j’étais marié ;  j’avais un enfant, mais nous ne partagions pas ma famille ! On était égoïste et le temps que nous passions tous les deux, le plus souvent en mer qu’à terre, était un moment privilégié qui n’appartenait qu’à nous ! Dans mon école, quand le vent soufflait en novembre, j’étais inquiet ! La vie était dure et je savais que tu prenais des risques ! Tu t’étais endetté pour acheter ton bateau puis le matériel et la camionnette pour le tracter et pour aller vendre ta pêche aux restaurateurs et aux particuliers ! À cette époque la vente aux particuliers était facile et beaucoup plus rentable que le passage par les mareyeurs. Mais, le matériel s’abîmait, le carburant q augmentait. Tu avais un marin salarié avec toi, tu avais acheté un doris plus grand, changé de moteur tous les deux ans, investi dans une petite cabane sur le port pour remiser le matériel et faire tes ventes ! Et puis la concurrence était impitoyable ! J’avais connu Saint Aubin avec deux équipages, vous étiez maintenant six ! Et le poisson se faisant plus rare, il fallait aller plus loin ! Et sortir par tous les temps ! Chaque retour après une période de mauvais temps était une angoisse ! Car, bizarrement, jamais on ne s’est téléphoné ! mais, nous ne sommes jamais restés très longtemps sans que je vienne ! Toi, tu es venu un week-end d’hiver chez moi, à Rouen, pendant les vacances de Noël. Sur la route du retour, tu m’as avoué :
— Tu voyes, est ben chez toi ! est biau y’a tous s’qu’y faut mais, y’a pas la mer !
Eh non, il n’y avait pas ta maîtresse !

Et puis, un soir d’avril, un beau soir d’avril, le téléphone sonna. L’air était doux, sur le toit voisin un merle chantait. Je travaillais dans mon bureau, mettant à jour un registre tout en pensant aux prochaines vacances de printemps : deux petites semaines à attendre ! Des projets de sorties en mer, l’envie d’emmener mon jeune fils avec nous pour qu’il te connaisse mieux et que tu lui fasses découvrir tout ce que je ne savais pas encore sur cette mer si vaste et si mystérieuse ! Je décrochais, surpris de cet appel tardif sur le téléphone scolaire et tout de suite, je compris : une voix timide, pleine de sanglots.
— Monsieur F… ? C’est la maman de Yohan...
— Oui, madame B… Qu’est-ce qui se passe ?
— C’est Yohan ! Il est mort !
Je ne pouvais rien dire ! Les mots refusèrent de sortir. Des larmes coulèrent, silencieuses, salées, comme l’eau de la mer…
Trois jours plus tard, le soleil brillait. Aucun pécheur n’était en mer. Ils étaient tous dans le petit cimetière, trop petit pour accueillir tout ce monde ! Ton cercueil reposait sur deux tréteaux et j’étais face à lui, devant un micro ! J’allais te dire adieux au nom de tous. Quand ta mère m’avait demandé de prononcer ton éloge funèbre, je lui ai dit oui, bien sûr ! Mais qu’allais-je dire ? J’ai pensé à une lettre, à cette lettre, cette « lettre au marin qui m’a fait aimer la mer » et qui est mort, en fin d’un après-midi ensoleillé, au volant de sa voiture en ratant un virage pour aller à Saint-Aubin-sur-Mer.


https://www.facebook.com/saintaubinpassion/reviews

vendredi 12 août 2016

mercredi 3 août 2016

Marché

Jour de marché
remplir les paniers
sortir les billets
je n’ai plus de monnaie
 un camembert deux bottes de navets
trois bananes quatre artichauts c’est trop
deux yaourts bio une petite robe pas cher
n’écoute pas les camelots tu vas dépenser trop
 on finit au café
cinq tickets à gratter
perdu !
Midi ! Faut rentrer !