mercredi 26 octobre 2016

Souvenirs, Toussaint, etc

Imaginez : il était une fois, une vraie fois. Fin octobre 55. Une voiture noire, presque imposante, presque une voiture de maître qui file à…, au moins, au moins, 70, 80 km/h vers le Nord. Pas le grand Nord mais presque ! Le grand Nord de la France : Amiens, Cambrai, Lille !!! On roule depuis 4 heures, depuis les aurores. Un couple devant : le père qui conduit assis à droite ! Ah oui, c’est une voiture anglaise, une Hotschkiss ! Modèle Artois 1948, 12 l aux 100 km ! Donc, il conduit. Et ça fait un moment qu’il suit un poids lourd qu’il voudrait bien doubler ….Mais, il ne voit rien :
––Nénette, regarde bien ! J’peux doubler ?
Nénette, c’est sa femme ! C’est ses yeux sur la route, une vraie co-pilote.
—Tu peux y aller !
Alors, on y va ! On accélère, on va de plus en plus vite : 80. 85.90.95 !  Encore un effort et on frôle le 100 km/h ! Pensez : elle peut atteindre le 140 km/h !
Derrière, ayant presque tout le siège Tout seul, entre les valises, sacs à provisions et les bagages divers : le petit prince ! Petit manteau en lainage beige, bonnet bien serré sur la tête, il est heureux, heureux en prince, heureux comme un ange. Et où vont-ils, dans le petit jour froid qui se lève, à peine, ce 30 octobre 1955 ? Je vous l’ai dit, ils vont dans le Ch'Nord ! Dans le plat pays, tellement plat qu'un ciel si est noyé mais pas seulement le ciel, tout un paysage dans sa grisaille immense et profonde. Ah,  le gris  de la Bretagne, ou plutôt le camaïeu de gris du ciel breton en comparaison, c'est une œuvre d'Art ! C'est la luminescence de la renaissance. Là, on nage dans le gris, dans le gris comment dire ? Le gris, gris. Non ne riez pas, ce n'est pas une histoire africaine. Et puis attendez donc la suite. Donc ils vont dans le Nord, pourquoi alors ? Parce que ces gens sont originaires du Nord. Ils ont dû s'exiler après la guerre : le travail, le logement, tout ça… Et c'est la Toussaint  qui approche… Et le petit prince, qui est derrière, aussi loin que ses souvenirs l’entraînent, commence un  pèlerinage qui va se renouveler tous les ans, à la même époque : la tournée des cimetières !

Je vous emmène dans cette grande aventure, dans ce safari des tombes, car il faut toutes les retrouver, ces sépultures, un vrai jeu de piste, dans ce voyage désorganisé fait  de découvertes, de trouvailles et de retrouvailles. Attachez vos ceintures sortez vos mouchoirs pour vous essuyer les yeux, si vous riez trop, remettez de l'adhésif à vos dentiers, scotchez vos lunettes, c'est parti !



Ma tombe

La première fois que j'ai vu ma tombe ça a jeté un froid. Ah ! Ça surprend de voir sa tombe. Je ne sais pas si cela vous est déjà arrivé Messieurs dames, mais comment dire ? C'est une anticipation dont on se passerait bien. Attention, je n'ai pas dit que j'ai vu ma tombe en rêve ! Non, je l’ai vue en vrai. Je l'ai même nettoyée, j'y ai déposé les fleurs. Je vous explique.

Comme dans toutes les bonnes familles chrétiennes de la France authentique, bon c'est vrai ça se perd un peu, on a le culte des morts. Le souvenir des défunts c'est important et le jour du 1er novembre, le jour de la Toussaint, alors qu'on devrait faire ça le lendemain, qui est le jour des… Trépassés, (oui c'est vrai qu'un mort, c'est du passé et un vieux mort c'est très passé) donc le jour de la Toussaint, les catholiques mais pas qu’eux,  les autres aussi, font la tournée des cimetières. Rien à voir avec la tournée du bistrot ! Quoique, vous n’avez pas remarqué, il y a toujours un troquet à côté du cimetière. T’as le  cimetière, en face un bistrot, un marchand de fleurs, une entreprise de pompes funèbres, un bistrot, un marchand de fleurs, un troquet….etc. etc.
Ça permet d'aller s'en jeter un petit coup derrière la cravate en sortant et puis on peut ainsi évoquer ceux qu'on est allé voir.  On ne peut pas boire à leur santé mais on peut boire à la nôtre. J'ai connu un bistrot en face d'un cimetière où l'enseigne était rédigée ainsi : « Quoiqu'on dise quoiqu'on fasse, on est mieux ici qu’en face ! »
C'est vrai que plus on est de fous pour le  faire,  mieux c'est. C'est plus convivial. Tout seul, c'est d'un triste ! On fait ça en famille avec les amis, bref, surtout pas  tout seul. Faut dire aussi que c'est souvent fatigant car il faut aller se recueillir sur plusieurs tombes qui ne sont jamais les unes à côté des autres !
Et il faut les trouver ! Il y a des anciennes qui disparaissent et les nouvelles qu’on ne connaît pas. Quand ce sont les nôtres, des proches, ce qu'on connaît bien enfin qu'on connaissait bien, c'est facile. D'autant plus que quelques jours avant, on est allé faire le ménage. Vous les avez vus tous ces gens avec leur pelle, leur binette, leur chiffonnette, leurs barquettes de violettes, même leurs brouettes!  Ils passent  l’après-midi à  coup d'huile de coude à désherber, à astiquer, à briquer, parce que dimanche prochain les gens vont faire des remarques :
— T’as vu, elle est bien propre celle-là pas comme l'autre là, même pas un peu d'eau pour arroser les plantes.
Et puis, pour peu que ce soit un caveau et que tu y as ta place de réservée, autant entretenir tout de suite. Ce sera nickel pour t’accueillir…plus tard !

Mais si ce n’est pas  un  proche, si ça fait plus d'un an que tu n'es pas venu, si c'est un mort récent, alors là !
Tiens il est où déjà Albert ? Je croyais que c'était à gauche d’Henriette. Et Henriette c'est la troisième allée en partant de la gauche quand on entre par le portail sud. Ah oui mais là, on est entré par l'autre grille.
 Forcément le parking était complet. Il a fallu aller à l'autre.
 Bon, alors c'est où ? Le plus simple c'est d'aller au portail sud et de faire le chemin à pied.

Maman j'ai faim !
Tais-toi, crie pas comme ça ! Dans un cimetière faut  faire silence !
Pourquoi maman ? Ils nous entendent  les morts ?
Ne dis pas de bêtises ! Et toi avance !
Je suis fatigué.
Ne t’assois pas sur la tombe du Monsieur !
Je t'avais dit de laisser les gosses à ta mère !
Et comment elle aurait fait ma mère pour venir au cimetière ?
En tout cas, avec moi, il n'y aura pas tous ces problèmes !
Et pourquoi, Monsieur., s'il vous plaît ?
Parce que je serais incinéré !
Bah oui, pour être à la mode !
Non, pour respecter l'environnement…

En aparté : même au cimetière des familles s’engueulent

Après toutes ces recherches, ces disputes, aller faire une pause au café « le Bienvenu », ça fait du bien.

Je vous disais donc que j'ai vu ma tombe. Une petite tombe couverte de graviers blancs, avec une petite croix blanche, une bordure bleu clair tout autour (bleu, normal, c'est un garçon) et un petit angelot –ou un chérubin -à la croisée des deux branches de la croix. Une petite plaque en faux marbre : à notre enfant chéri le nom, 1949-1950.
Bon c'est vrai, les dates ne collent pas  mais le nom c'est bien ça !  Gentils parents dont je suis le fils de substitution. Le fils mort, il fallait le faire revivre.  La succession en quelque sorte.
Eh bien, Messieurs dames, vous n'allez peut-être pas me croire. Mais, depuis cette année 1955, après chaque soir de Toussaint, je me dis, le soir, avec un grand soulagement : « Yes, encore un an de gagné ! »
Et ça fait plus de 60 ans que ça dure !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire