lundi 23 septembre 2019

Sculpteurs


Terre
souplesse à humecter
mains qui façonnent
qui roulent écrasent
hésitent
puis étirent enfin
modèlent
la femme peu à peu se devine
se révèle s’affirme
s’expose
son regard se porte au loin
ce lointain que la main confirme
elle ne cache rien ni des formes
ni de sa nudité
pourtant elle ne provoque pas
elle est
femme elle est mère
ses seins ont sûrement nourri
son ventre conserve des plis
et son sexe finement ourlé
a donné et reçu du plaisir
Maillol peaufine reprend lisse
pour ne laisser aucune empreinte
aucune signature
puis tel le chef étoilé
surveille la cuisson


de son œuvre



c’est cette femme qui s’expose
que j’admire
je n’arrive à m’en détacher
tomber amoureux
rester de marbre
à ses côtés.


Visite de l’exposition Rodin Maillol musée Hyacinthe Grimaud Perpignan septembre 2019

Les étrangers


LES ÉTRANGERS

                 Ils sont arrivés à la fin de l’hiver.
Le printemps n’était pas installé.
La vieille voiture fatiguée tractait une caravane rafistolée.
Ils se sont garés sur le terrain communal, près de l’ancien cimetière, bien avant le réveil du village. Un chien a aboyé. La lune a disparu mais le soleil ne s’est pas levé.
C’est le cantonnier qui, le premier, les a aperçus. Il a raconté cela au bistrot où il allait boire son premier café arrosé de la journée.
En moins d’une heure, la moitié du village a trouvé un prétexte pour y aller voir. Les mères inquiètes se demandaient s’il fallait envoyer les gamins à l’école.
Le maire a tenté de les raisonner : comment éviter la peur devant l’inconnu ?
Non, mais regardez-moi cela !
Et d’abord, avaient-ils le droit de s’installer là, avec tout leur barda ?
C’est quoi ce bazar qu’ils ont sorti ?
 Et leur chien ? Comme il a l’air mauvais !
Et vous avez-vu comment ils sont habillés ?
Eh,  Monsieur le maire, faut leur dire de partir !
Mais le maire n’avait pas envie ! Il a dit qu’il allait téléphoner au préfet puis aviser.


         Un cri terrible a couvert l’agitation naissante. C’était Simone. Le lit de son petit garçon était vide.
Elle avait cherché dans toute la maison : il n’était pas là ! C’est sûrement ces étrangers qui ont fait le coup ! C’est sûr !
On n’a pas attendu le retour du mari de Simone qui était de nuit à l’usine.
On a sorti les fusils et tout ce qui pouvait servir d’armes.
La foule déchaînée a décidé, comme cela, naturellement, de se venger.
L’homme a été atteint par plusieurs balles à sanglier.
La femme a reçu des coups, toutes sortes de coups. En lui plantant une fourche dans le ventre, on s’est rendu compte qu’elle était enceinte.
Leur enfant, on l’a balancé dans la rivière.
La voiture et la caravane, on les a incendiées.
Seul le chien, qui s’était sauvé, en a réchappé.
On a chanté et dansé autour du feu et quand les gendarmes sont arrivés, ils n’ont pu qu’appeler les pompiers.
Cette affaire a été classée sans suite, sans suite pour personne.
On s’est débarrassé des  corps dans la fosse commune sauf celui du petit, jamais retrouvé.   


Quant à l’enfant disparu, il jouait à cache-cache sous son lit.