LES
ÉTRANGERS
Ils sont arrivés à la fin
de l’hiver.
Le printemps n’était pas
installé.
La vieille voiture
fatiguée tractait une caravane rafistolée.
Ils se sont garés sur le
terrain communal, près de l’ancien cimetière, bien avant le réveil du village.
Un chien a aboyé. La lune a disparu mais le soleil ne s’est pas levé.
C’est le cantonnier qui,
le premier, les a aperçus. Il a raconté cela au bistrot où il allait boire son
premier café arrosé de la journée.
En moins d’une heure, la
moitié du village a trouvé un prétexte pour y aller voir. Les mères inquiètes
se demandaient s’il fallait envoyer les gamins à l’école.
Le maire a tenté de les
raisonner : comment éviter la peur devant l’inconnu ?
Non, mais regardez-moi
cela !
Et d’abord, avaient-ils
le droit de s’installer là, avec tout leur barda ?
C’est quoi ce bazar
qu’ils ont sorti ?
Et leur chien ? Comme il a l’air
mauvais !
Et vous avez-vu comment
ils sont habillés ?
Eh, Monsieur le maire, faut leur dire de
partir !
Mais le maire n’avait pas
envie ! Il a dit qu’il allait téléphoner au préfet puis aviser.
Un cri terrible a couvert l’agitation naissante. C’était
Simone. Le lit de son petit garçon était vide.
Elle avait cherché dans
toute la maison : il n’était pas là ! C’est sûrement ces étrangers
qui ont fait le coup ! C’est sûr !
On n’a pas attendu le retour
du mari de Simone qui était de nuit à l’usine.
On a sorti les fusils et
tout ce qui pouvait servir d’armes.
La foule déchaînée a
décidé, comme cela, naturellement, de se venger.
L’homme a été atteint par
plusieurs balles à sanglier.
La femme a reçu des
coups, toutes sortes de coups. En lui plantant une fourche dans le ventre, on
s’est rendu compte qu’elle était enceinte.
Leur enfant, on l’a
balancé dans la rivière.
La voiture et la caravane,
on les a incendiées.
Seul le chien, qui
s’était sauvé, en a réchappé.
On a chanté et dansé
autour du feu et quand les gendarmes sont arrivés, ils n’ont pu qu’appeler les
pompiers.
Cette affaire a été
classée sans suite, sans suite pour personne.
On s’est débarrassé
des corps dans la fosse commune sauf
celui du petit, jamais retrouvé.
Quant à l’enfant disparu,
il jouait à cache-cache sous son lit.