samedi 25 février 2017

Hommage à Roger Knobelspiess


L'ex-taulard est mort dimanche 19 février, à 69 ans. Né à Elbeuf ( Seine Maritime), il disait à propos de sa ville et de son enfance : « Je préférais les anciens quartiers du Puchot, la Rigole, le vieil Elbeuf avec les maisons normandes. C’était extraordinaire. Elbeuf était une ville de drap, ça suait la misère, certes, mais, le soir, on entendait les vélos qui roulaient avec les bouteilles de vin qui tintaient. Il y avait de la vie. Et il faut savoir qu’Elbeuf a été à la pointe de la première épopée des blousons noirs en France. En 1963, la bande à Maridor avait attaqué la gendarmerie de Pont-de-l’Arche. J’ai de bons souvenirs de mon enfance. » (entretien avec Patrick Pellerin, journaliste  au Journal d’Elbeuf). Cette enfance, faite de petits vols qui coûteront la vie à son frère Jean, abattu par un commerçant pour un vol d'autoradio, il la racontera dans Voleur de poule. Avec ses sept frères et sœurs, vivant dans un baraquement, élevé par des parents alcooliques, il fréquente assidûment la Soupe populaire. C’est son père ( celui qu’il appelle Tonton) qui l’initie !  «Tonton bandait pour la nuit. La nuit, la cambriole, la nuit, le chapardage et même le travail. Mais il avait constamment son idée à lui. Dans la journée, il y pensait. Le soir venu, Jean et moi, on le regardait sortir avec la pouche à charbon. On attendait qu’une chose, qu’il nous demande d’aller aux poules avec lui»
26 années de prison…dont 8 en QHS
Le 4 mars 1972, Roger Knobelspiess est condamné à 15 ans de prison pour un braquage de…800 francs ! Il a 25 ans lorsqu’il écope de cette lourde peine pour avoir braqué une station-service. Il aura beau nier le vol, fournir un alibi, la cour d’assises de l’Eure, peu sensible à ses récriminations, l’envoie directement derrière les barreaux. De cette injustice naît une révolte qui ne s’éteindra plus. En prison, il rencontre Jacques Mesrine. En 1981, il est gracié par le président François Mitterrand. Mais, il disait ne pas pouvoir pardonner cette « vraie erreur judiciaire ». « On m'a volé toutes ces années de ma vie pour quelque chose que je n'avais pas commis. » En 1983, il  retourne derrière les barreaux  pour un braquage qu'il nie à nouveau avoir commis. Il va alors commettre un geste qui marquera les esprits. Il se coupe un doigt et l'envoie à Robert Badinter le garde des Sceaux pour protester contre son incarcération. Il sera finalement acquitté en 1986. Mais il retournera en prison quelques années plus tard pour un autre braquage. Nouveau séjour en prison en 1987 après une condamnation à sept ans de réclusion pour une fusillade contre des policiers en 1982. Pour les uns, Knobelspiess devient l’emblème de l’erreur judiciaire. Pour les autres, il est celui de la «politique laxiste de la gauche».

Écrivain, il prend la plume pour défendre les Taulards

«Mon stylo, c’est ma vie bafouée, mon encre, c’est mon sang martyrisé, mon talent, c’est ma tête relevée.»

Pendant ces années d’incarcération, Roger Knobelspiess va noircir des dizaines et des dizaines de cahiers. En 1980, depuis sa cellule, il écrit QHS, dans lequel il relate ses conditions de détention dans les Quartiers de Haute Sécurité. Il sera vendu à plus de 300 000 exemplaires. Il frappe l'opinion et s'attire la sympathie de nombreux artistes et intellectuels, Claude Mauriac, Claude Manceron, Jean Genet, André Glucksmann, Yves Montand, Simone Signoret, Léo Ferré… Ou encore, Jacques Higelin, qui composera en 1988 la Ballade pour Roger. «J’peux plus dormir. J’peux plus rêver. Je ne suis pas sûr demain de me réveiller», dit la chanson. L'actrice Marie Rivière, un temps sa compagne, a publié en 1988 Un amour aux Assises, où elle racontait son procès et leur rencontre. 

Libéré en 1990, il continue d’écrire ses souvenirs, des fictions, des scénarios . Il a même  tourné de petits rôles au cinéma et à la télévision, notamment dans Capitaine Conan de Bertrand Tavernier, et pour des téléfilms de Jean-Pierre Mocky. « J'ai même incarné un flic. J'ai aussi écrit quelques scénarios », dont celui d'une BD sur Jacques Mesrine, qu'il avait rencontré en prison, (Messine, l'évasion impossible -Casterman, 2008). « J’ai côtoyé Jacques Mesrine au QHS de Fresnes en 1977 mais, quand j’étais son codétenu, j’étais un illustre inconnu(…) On est devenus amis, on a fondé le syndicat des évadés, nous étions unis dans la lutte contre les QHS ».

 Son ami Wolinski lui dédiera un croquis. On y voit deux personnes hurlant devant le mur de la prison : «Libérez Knobelspiess». L’intéressé leur répond de fond de sa geôle : «Faites pas chier, j’ai pas fini d’écrire mon livre ! »
En 2012, il avait menacé de se couper de nouveau un doigt si François Hollande ne rétablissait pas les grâces présidentielles du 14 juillet.
Il habitait depuis vingt ans dans l'Yonne
Depuis le Tonnerrois, où il résidait depuis une vingtaine d'années, il continuait à dénoncer le système carcéral et à se battre pour les droits des détenus. En 2012, il avait menacé de se couper de nouveau un doigt si François Hollande ne rétablissait pas les grâces présidentielles du 14 juillet.

Il s'est éteint dans la nuit de samedi à dimanche à l'âge de 69 ans. Il est, lui aussi, «entré par effraction dans l’éternité», selon les mots qu’il dédiait à son ami Jacques Mesrine. Une cérémonie aura lieu lundi 27 février à l’église d’Elbeuf, à 10 heures suivie de l’incinération à 17 h.

RIP